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18 octobre 2010 1 18 /10 /octobre /2010 08:06

DEUXIÉME LETTRE DE MÉNAGE

 

J'ai besoin, à côté de moi, d'une femme simple et équilibrée, et dont l'âme inquiète et trouble ne fournirait pas sans cesse un aliment à mon désespoir. Ces derniers temps, je ne te voyais plus sans un sentiment de peur et de malaise. Je sais très bien que c'est ton amour qui te fabrique tes inquiétudes sur mon compte, mais c'est ton âme malade et anormale comme la mienne qui exaspère ces inquiétudes et te ruine le sang. Je ne veux plus vivre auprès de toi dans la crainte. J'ajouterai à cela que j'ai besoin d'une femme qui soit uniquement à moi et que je puisse trouver chez moi à toute heure. Je suis désespéré de solitude. Je ne peux plus rentrer le soir, dans une chambre, seul, et sans aucune des facilités de la vie à portée de ma main. Il me faut un intérieur, et il me le faut tout de suite, et une femme qui s'occupe sans cesse de moi qui suis incapable de m'occuper de rien, qui s'occupe de moi pour les plus petites choses. Une artiste comme toi a sa vie, et ne peut pas faire cela. Tout ce que je te dis est d'un égoïsme féroce, mais c'est ainsi. Il ne m'est même pas nécessaire que cette femme soit très jolie, je ne veux pas non plus qu'elle soit d'une intelligence excessive, ni surtout qu'elle réfléchisse trop. Il me suffit qu'elle soit attachée à moi. Je pense que tu sauras apprécier la grande franchise avec laquelle je te parle et que tu me donneras la preuve d'intelligence suivante : c'est de bien pénétrer que tout ce que je te dis n'a rien à voir avec la puissante tendresse, l'indéracinable sentiment d'amour que j'ai et que j'aurai inaliénablement pour toi, mais ce sentiment n'a rien à voir lui-même avec le courant ordinaire de la vie. Et elle est à vivre, la vie. Il y a trop de choses qui m'unissent à toi pour que je te demande de rompre, je te demande seulement de changer nos rapports, de nous faire chacun une vie différente, mais qui ne nous désunira pas.

Extrait de"L'ombilic des Limbes, Le pèse nerfs", (Poésie-Gallimard)

Lettre à Génica, la folie d'amour Antonin Artaud

27.12.2009 - 20:00

 

Lettre à Génica, la folie d'amour Antonin Arthaud , Suivi de la rediffusion de passages choisis d'un Atelier de Création Radiophonique (édité chez André Dimanche) avec la voix d'Antonin Artaud. Lu par Carole Bouquet Equipe de réalisation : Philippe Bredin, Anne-Pascale Desvignes. Enregistré en public dans le cadre des Correspondances de Manosque au Théâtre Jean-le-Bleu le 25 septembre 2009 « "Là où d'autres proposent des oeuvres, je ne prétends pas autre chose que de montrer mon esprit", écrit Artaud, le "poète maudit", en préambule de L'Ombilic des limbes. Et posant cela, il dit toute l'essence de son oeuvre et de ses poèmes. Anarchie, désordre, délire, et surtout quête de lui-même, de l'esprit et de la réalité. L'impossible harmonie entre son corps et sa pensée, ainsi que la difficulté à trouver le sens de l'être, le conduiront à être interné pendant neuf ans en hôpital psychiatrique. Refusés initialement en 1923 par Jacques Rivière, directeur de la NRF avec qui il échangera une correspondance riche, ces poèmes ne sont pourtant pas l'oeuvre d'un fou mais celle d'un homme qui va au bout de lui-même, pousse le questionnement jusqu'aux derniers retranchements, jusque dans ces limbes. Il invente une "poésie mentale", presque psychotique et obsessionnelle, inspirée des idées surréalistes où l'humanité jaillit à vif, gangrenée par la douleur et la rage face au mystère de l'incarnation. Il se livre ainsi à des descriptions aiguës de la douleur interne qu'il ressent, de son "effondrement central de l'âme", de "l'érosion à la fois essentielle et fugace de la pensée". Son écriture est cathartique, il va démultiplier les efforts pour mettre des mots sur l'indicible et se heurter à ses limites tout en déployant une précision lexicale rare sur la souffrance humaine. Et c'est l'immense comédienne Carole Bouquet qui a voulu nous faire entendre ces mots exceptionnels dont on ne se remet pas, ainsi que les lettres à la Roumaine Génica Athanasiou dont Artaud tomba fou amoureux. » Les Correspondances de Manosque. Les Lettres à Génica Athanasiou sont publiées chez Gallimard in Oeuvres complètes tome XXII.

Thèmes : Création Radiophonique

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