Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 21:33
.Céline

Henri Godard

Biographie

4

Une biographie doit toujours les vérifier : les faits, les dates, les chiffres et les lettres. Henri Godard, professeur émérite de littérature, éditeur des romans et de la correspondance de Céline dans la collection de la Pléiade, connaît celles de l'écrivain par cœur. Mais, dans le cas de Céline, plus peut-être que pour d'autres auteurs, il faut articuler l'homme et l'œuvre. Car Céline est justement un cas à part d'articulation biographique : comment concilier l'écrivain, auteur de Voyage au bout de la nuit, de Mort à crédit, de Féerie pour une autre fois, et le raciste qui déversa une haine antisémite monstrueuse dans ses pamphlets et sa correspondance ? On sait que l'empathie du biographe peut parfois conduire à glisser sur certains aspects de l'homme étudié, a fortiori quand il s'agit de justifier, voire de passer sous silence, les moments troubles, les paroles échappées, les prises de position inqualifiables. Rien de tout cela dans cette biographie exemplai­re. Henri Godard suit l'hom­me dans ses voyages et ses péripéties, analyse les œuvres et poursuit l'élucidation de l'énigme : « Comment en était-il venu à se faire une vision si noire des hommes, de la société, de la vie ? Et, qui plus est, à vouloir donner de cette vision une expression si brutale et si provocante ? »

 

L'entrée de Céline dans le XXe siècle monstrueux, elle commence, comme pour tous, avec la guerre de 14-18 : blessé, réformé, dévasté, il fera le récit de sa première vie d'homme dans Voyage au bout de la nuit, tempête qui secoue le monde littéraire en 1932. Le médecin Destouches devient alors Céline, chirurgien des âmes, plume et scalpel en main pour charcuter sans fioritures. Eloges, critiques, jugements nuancés ou enthousiastes, le petit monde littéraire exprime des réticences ou salue un roman qui fera date. Mais c'est la suite que l'on attend, moins avec Mort à crédit, dont le faible succès critique et commercial désespère Céline, qu'avec les fameux pamphlets qui marquent son auteur au fer rouge. Mea culpa (1936), Bagatelles pour un massacre (1937), L'Ecole des cadavres (1938), Les Beaux Draps (1941) signent l'adoption par Céline des idées d'extrême droite et le désignent comme un des plus virulents antisémites d'une époque qui en comptait pourtant beaucoup.

Henri Godard ne laisse rien passer et fait litière de l'argument que développera Céline quand il ruminera après la guerre dans sa prison danoise. Il montre un Céline hurlant : « A moi Descartes ! A moi Voltaire ! A moi Chateaubriand ! A moi Hugo ! », se refusant au moindre remords et s'enfermant dans la posture de celui qui est victime d'avoir voulu, par pacifisme, dénoncer les juifs, qui appelaient à la guerre. L'invocation du style, du seul style, la référence à Rabelais et à l'humour français ne sont pour Céline qu'arguments pour insulter encore et toujours les autres, les auteurs jaloux, les irrémédiables opportunistes et d'autres cibles qu'il désigne désormais par « le péril jaune et noir ».

Parti de France en 1944, revenu en 1951 après son intermède danois et l'amnistie accordée par la justice française, Céline a encore dix ans à vivre. Le reclus de Meudon s'attelle à Féerie pour une autre fois. L'existence de l'écrivain vacille alors entre haine et outrance, espoir de réapparaître comme un grand auteur et doute... S'appuyant sur une forte documentation, Henri Godard le décrit fulminant contre ses éditeurs, Gallimard, dont il attend les chèques, ou Paulhan, « Landru prousteux, massacreur de textes », qui avait pourtant plaidé en faveur de son retour en librairie. Cette magnifique biographie rend justice à tout ce que l'on doit savoir de Céline : un homme sur le fil du génie et de l'ordure, fantôme errant qui ne cesse de hanter l'histoire politique et littéraire.

Gilles Heuré

Telerama n° 3204 - 11 juin 2011
 
Ed. Gall| Ed. Gallimard, coll. NRF-biographies. | 594 p., 25,50 EUR.imard, coll. NRF-biographies. | 594 p., 25,50 EUR.
 
Partager cet article
Repost0

commentaires