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28 octobre 2012 7 28 /10 /octobre /2012 18:08

La promotion de la diversité, une dépolitisation de la lutte contre les discriminations. (Martine Valla)

L’histoire politique de la France nous enseigne que la lutte contre les discriminations et le racisme a revêtu plusieurs formes si l’on va des premières années de la révolution de 1789 à nos jours, avec comme toile de fond le principe de l’égalité. Depuis le milieu des années 2000 à peine (2004) un glissement sémantique voire idéologique s’est opéré dans le vocable de la lutte contre les discriminations en y associant confusément deux concepts ou notions: la "promotion à l’égalité des chances" et la "promotion de la diversité".

Toutefois le principe d’égalité de 1789 a exercé une grande influence sur l’organisation de la vie politique en France. Condorcet dans ses combats pour l’égalité y a puisé son inspiration fondée sur la lutte contre les inégalités mettant l’homme dans une situation d’asservissement. Il a ainsi dénoncé :
 - l’inégalité des droits des protestants et du statut des Juifs.
- Il a été le précurseur de la défense de la cause des Noirs et de l’abolition de l’esclavage.
- Condorcet a donc été le premier à inscrire son action dans la lutte pour l’égalité et le respect des femmes, notamment sur le plan politique.
- Il a défendu l’idée selon laquelle pour promouvoir l’égalité il faut également lutter contre les discriminations.

Sous la IIIe République le principe d’Egalité est associé à la notion de chance. L’action publique fondée sur l'éducation gratuite, laïque et obligatoire s’oriente alors vers la jeunesse et l'enfance considérées comme une cause nationale.
Il résulte que la mission assignée à l'école n’est pas de réduire les inégalités sociales mais de donner à chacun la chance de se faire une place dans la société.
La troisième République a fait de l’école un levier au service de la promotion de l’égalité des chances.

De 1945 à 2004 la France a inscrit son action en faveur de l’égalité dans une double démarche d'assimilation et d’intégration en s’appuyant sur une législation abondante mais jamais respectée, notamment sur la reconnaissance des anciens esclaves comme citoyens à part entière, la reconnaissance formelle des anciens colonisés, l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre les discriminations liées au handicap, à l’origine à l’appartenance syndicale.

En réalité la politique de la France en matière de discriminations n’a jamais été clairement définie de sorte que les employeurs privés ou publics ne se la sont jamais appropriés.
Après les recommandations de la communauté Européenne puis sous le mandat du Président Jacques Chirac et du gouvernement de cohabitation de Lionel Jospin la responsabilité des acteurs économiques, c'est-à-dire les employeurs a été mise à l’index, essentiellement pour les cas de discriminations liées à l’origine et au genre. Par ailleurs, il importe de souligner que le sexisme a été et est la cause primaire et universelle de la discrimination.


Martine Aubry a été très certainement la première politique à juger nécessaire de porter une parole publique sur ce sujet parce qu’elle a toujours été convaincue que tous les acteurs de l’entreprise devaient être mobilisés sur la lutte contre les discriminations. Elle a souhaité que les partenaires sociaux  s’interrogent sur le renforcement de la place de la négociation collective en matière de lutte contre les discriminations, en inscrivant par exemple dans les conventions collectives nationales le thème de la lutte contre les discriminations ou en élargissant les compétences de la commission nationale de la négociation collective.

En 2004 le concept de l’égalité des chances a revêtu un autre sens avec Azouz Begag. Dans un rapport intitulé "la République à ciel ouvert" destiné au ministre de l’intérieur.  Azouz Bégag ne parle plus de "lutte contre les discriminations" mais propose une approche nouvelle : l’abandon de la notion "d’intégration" et "d’égalité" au profit de la “promotion à l’égalité des chances", deux concepts aux objectifs diamétralement opposés.

Quant à Dominique de Villepin, alors chef du gouvernement, il a mis l’accent sur la notion "d’égalité des chances" qu’il a décliné ainsi : "L’urgence aujourd’hui, c’est de faire de l’égalité des chances une réalité pour tous, avec deux leviers : l’emploi et l’éducation" et de poursuivre :"L’année 2006 sera l’année de l’égalité des chances".

En 2004 le rapport de Yazid SABEG et de Laurence MEHAIGNERIE, de l’institut Montaigne, sur "Les oubliés de l’égalité des chances…" évoque  le "risque d’éclatement communautaire "et préconise de " rendre égales des situations qui ne le sont pas" par la mise en œuvre d’actions positives à la Française conjuguée à la volonté des entreprises à refléter dans leurs effectifs la diversité ethnique, à mérites et compétences égaux. Dans le prolongement de ce rapport la Charte de la diversité destinée "à favoriser le pluralisme et à rechercher la diversité au travers des recrutements et de la gestion des carrières (…) devant contribuer à la lutte contre toutes les formes de discriminations" a été mise en place.  Le développement de la Charte de la diversité est assuré par l’Institut du Mécénat Social.

Le glissement sémantique observé dans le passage de "la lutte contre les discriminations" à "la promotion de l’égalité des chances" et la "promotion et la diversité" ne serait-il pas qu’une construction  idéologique qui traduirait une véritable contre-offensive à la loi de novembre 2001 ?
Pour tenter de répondre à cette problématique nous proposons les trois hypothèses suivantes :

a)    la première hypothèse :
Si "la promotion à l’égalité des chances" a connu un tel essor dans les entreprises c’est parce qu’il s’agit d’une véritable offensive contre la loi de novembre 2001 de lutte contre les discriminations. On pourrait apporter des réponses :

  • Il s’agit d’un glissement sémantique.
  • C’est une façon de déresponsabiliser les acteurs économique qui par ailleurs sont les employeurs.


b)    la seconde hypothèse :
Si la promotion de la diversité s’est imposée dans les entreprises c’est parce qu’elle est sans obligation pour les employeurs, elle n’est pas quantifiable. Les premiers éléments de réponses pourraient être les suivants :

  •  C’est une façon de diluer la question même de l’égalité.
  • La différenciation des labels induit une hiérarchisation de la lutte contre les discriminations.
  • Elle participe à la déstabilisation de l’organisation des rapports de force dans la lutte contre les discriminations.


c)    La troisième hypothèse :
Si l’implication des acteurs sociaux, à savoir les organisations syndicales, est effective dans la question des discriminations, une résistance face à cette construction, même si elle est idéologique peut faire contrepoids.

  • C’est parce qu’il y a eu cette implication des partenaires sociaux que l’accord social dans le groupe ADECCO a pu se construire et être signé.


Ces travaux se sont nourris de différents théoriciens et d’une expérience de terrain dans :

  • l’animation de projets Européens et d’actions régionales concernant la lutte contre les discriminations pour la CGT Rhône Alpes,
  • l’organisation de négociations sociales concernant cette thématique,
  • la participation à la commission nationale du label de la diversité.


Pour valider ces différentes hypothèses un travail de terrain a été effectué avec l’interview de directeurs de services, responsables d’associations, de militants syndicaux. Nous connaissons ces personnes pour avoir participé avec elles à un certain nombre de travaux dont la commission nationale de l’obtention du label de la diversité.

Le concept d’égalité des chances s'est réellement construit pendant la troisième république dans le sillage de l'école unique. Chacun devait pouvoir passer par l'école élémentaire pour accéder aux études supérieures. L'école n'était pas pensée comme une institution visant à réduire les inégalités.
Ainsi la troisième République a fait de l’école un levier au service de la promotion de l’égalité des chances.
Dans son message au peuple français du 11 octobre 1940, après avoir fustigé " les faiblesses et les tares de l'ancien régime politique", le maréchal Philippe Pétain préconisait déjà le remplacement des principes égalitaires inspirés par Jean-Jacques Rousseau par l'idée "d'égalité des chances"


Cette préoccupation est ensuite passée au second plan pour revenir en force à la fin des années 70. Ce retour est à mettre en lien avec les politiques urbaines et la reproduction des élites. L’idée de "l'égalité des chances" coïncide avec le renoncement de la gauche à transformer les rapports capitalistes. Les lendemains qui chantent s'éloignent et la justice devient une affaire de capacité personnelle avec la méritocratie,  alors que l'égalité renvoie à une question de territoire.
Plus de cinq ans après la campagne électorale du candidat Jacques Chirac, axée sur la fracture sociale et la nécessité de sa réduction, et grâce au mouvement social de novembre/décembre 1995 contre le "plan Juppé" et au changement de climat idéologique rendu ainsi possible, les attaques contre l'égalité se font désormais moins grossières. Elles empruntent des chemins détournés, en ajoutant systématiquement au mot égalité un qualificatif qui atténue ou altère sa portée ; il s’agit très souvent de" l’égalité des chances".


La notion "d’égalité des chances" n'équivaut ni à l'égalité des résultats ni à l'égalité de condition. Nous sommes nombreux là penser qu’elle désigne l'égalité tout court, sans qualificatif. Son usage systématique par les dirigeants politiques, ou par la presse, produit un effet insidieux. De plus en plus nous utilisons cette expression sans la remettre véritablement en cause et ainsi nous parlons de moins en moins de la nécessité de lutter contre les discriminations.
La promotion à l’égalité des chances est un concept juridiquement reconnu mais il ne permet pas de remettre en cause l’inégalité puisque la démarche elle-même l’intègre.


L’égalité des chances prend appuie sur trois piliers :

  • L’individualisme, l’individu primant sur le groupe dont il est membre.
  • La méritocratie, le mérite étant valorisé comme les talents personnels dans la compétition des biens sociaux.
  • L’universalisme, dans le cadre de la compétition tous les individus doivent faire l’objet d’un traitement égal.

Le débat sur le concept de l’égalité des chances a abouti à la transformation des CODAC (Commissions d’Accès à la Citoyenneté) en COPEC (Commission pour la promotion de l’égalité des chances) et du FASILD (Fonction d’Action Sociale d’Insertion et de Lutte contre les Discriminations) en ANCSEC (Agence nationale de cohésion sociale et d’égalité des chances) dans le cadre de la loi sur la promotion de l’égalité des chances.

Dans les années 2003/2006 période qui correspond à la constructions du concept  de "la promotion de l’égalité des chances" de nombreuses mesures de "casse sociale" comme les réformes des retraites, la réduction de la couverture maladie, la baisse des allocations chômage, la baisse du pouvoir d’achat les transferts sociaux, qui veulent se faire passer pour des mesures de “modernisation” de la société, ont en fait creusé, renforcé, exacerbé les inégalités sociales. Le mouvement de régression sociale se poursuit, rejetant une partie grandissante de la population dans une situation de précarité, de fragilité et d’angoisse. "L’égalité des chances" semble être là pour masquer la logique impitoyable de la production et du développement des inégalités dans notre société libérale.


La diversité (du latin diversĭtas, 1160) est une notion qui se réfère à la différence, à la variété, à l’abondance de choses distinctes ou la dissemblance. Cette notion est communément employée dans les domaines de l’écologie, de la biologie, mais aussi de la culture. La diversité est l'état, le caractère de ce qui est divers, varié, différent.
Appliquée à un groupe humain, la diversité correspond à la variété des profils individuels qu'on y trouve en termes d'origine géographique, de catégorie socioprofessionnelle, de culture, de religion, d'âge, de sexe, de niveau d'études, d'orientation sexuelle, d'apparence physique, etc.


Nous pouvons ainsi retrouver tous les critères de discrimination déjà énoncés. En France, le terme "diversité" est utilisé pour désigner des personnes issues d'une immigration autre qu’Européenne dite minorité visible c'est-à-dire Maghrébine ou Subsaharienne pour être très clair.
Un "Commissariat à la diversité et à l'égalité des chances ", service rattaché au Premier ministre, a été créé en décembre 2008.


Alors que la question de la lutte contre les discriminations était jusqu’au milieu des années 2000 monopolisée essentiellement par des acteurs sociaux (certaines organisations syndicales de salariés) associatifs, académiques et institutionnels, le thème de la diversité a émergé sous la pression de nouveaux acteurs, issus ou proches des milieux patronaux. Au-delà des quelques grands patrons, comme Claude Bébéar et Yazid Sabeg, les entrepreneurs de la diversité sont majoritairement issus de clubs patronaux soucieux du "rôle social" de l’entreprise et des professions liées aux "ressources humaines".
Ce glissement sémantique de "la lute contre les discriminations" à "la promotion à l’égalité des chances" et "la promotion de la diversité" arrive dans la période de création de la HALDE fondée pour lutter juridiquement contre les discriminations.


La force de la diversité est de reposer sur l’engagement volontaire, d’être sans obligation.
Une politique de diversité, pour les décideurs et les responsables d’entreprises, ne  comporte aucune obligation et ne donne aucun droit supplémentaire aux destinataires.
La notion de diversité apparaît comme un discours fondamentalement dépolitisant. Il conduit généralement à  ne pas parler de tout ce qui est du ressors de la lutte contre les discriminations, à occulter la question ethno-raciale, et à gommer les rapports de pouvoir entre les différents groupes,  majoritaires et minoritaires.


En 2004 le label égalité a été mis en place par le ministère du travail, sensiblement à la même période était signé "un accord interprofessionnel relatif à la mixité et à l’égalité professionnelle entre les hommes et les femmes". Encouragé par l’État, soutenu par les partenaires sociaux, le "Label Egalité" peut être décerné à toute entreprise, administration, ou association quelque soit sa taille pour peu qu’elle mette en place une politique d’égalité entre les femmes et les hommes, que ce soit au niveau du recrutement, des salaires du déroulement de carrière et de l’accès à la formation. Remettre le label égalité à une entreprise marque la volonté des pouvoirs publics de valoriser une bonne pratique. Basé sur une démarche volontaire, Le label est délivré pour une durée de 3 ans renouvelable Depuis l’existence de ce label, nous nous rendons compte que son succès est sommes toute bien limité. L’inégalité entre les femmes et les hommes  est un phénomène extrêmement prégnant dans les organisations de travail. Le label diversité a été créé par le décret du 17 décembre 2008 relatif à la création d’un label en matière de promotion  de la diversité et de la prévention des discriminations dans le cadre de la gestion des ressources humaines notamment d’une mise en place d’une d’une commission de labellisation. La création du label s’inscrit dans la politique gouvernementale de promotion à la diversité et de prévention aux discriminations.


La lutte contre les discriminations, la lutte pour plus de justice est un élément de la lutte des classes, concept que peu de personnes emploient parce que les détenant des pouvoirs politiques et économiques ont tout mis en œuvre pour que chacun pense que tout cela est dépassé. Le fait que les dirigeants d’entreprises ne parlent plus des salariés mais de leurs collaborateurs en est une illustration parfaite. 


La notion de diversité, qui se veut volontariste du côté des chefs d’entreprises, pose un réel problème. En effet elle banalise tout comportement discriminatoire en montrant qu’il faut apprendre "le vivre ensemble». Elle ne prend pas en compte la mise en concurrence des salariés entre eux pour des raisons purement financière, l’important étant de faire baisser les masses salariales. Les grandes entreprises qui se lancent dans la promotion de la diversité le font très souvent pour des raisons économiques, leur premier souci étant la performance. Nous comprendrons aisément  pourquoi la notion de la promotion de la diversité puisse être déstabilisante, en effet dans cette action s’y retrouvent des gens "de bonne volonté" ce qui d’une part ne suffit pas pour mener une vraie politique d’égalité et d’autre part musèle d’une certaine façon le dialogue pour le faire devenir très consensuel. Qui pourrait dire qu’il est contre la promotion de la diversité ?


Cette notion vise aussi par là même à ne pas reconnaître la responsabilité particulière des employeurs lorsque que des faits de discriminations sont avérés. Tout sera fait pour que le salarié passe son énergie dans la défense de son cas particulier au mépris de l’action collective.
La promotion de l’égalité des chances, comme nous la pratiquons actuellement, et la promotion de la diversité ont marqué un tournant certain dans la lutte contre les discriminations au travail et dans l’emploi. Il n’est certainement pas exagéré de voir là, une construction pensée comme une contre offensive à la loi de novembre 2001. Ceci dit, cette construction n’empêche pas les acteurs de travailler la question des discriminations, et finalement, accepter de le faire en, nommant clairement les objectifs que les acteurs,  syndicaux en particulier, veulent se fixer et en insistant sur la visée républicaine de cette action, il est encore possible de lutter contre les discriminations.

 

C’est parce qu’il y a eu l’implication des partenaires sociaux mais aussi de la direction que l’accord social contre les discriminations dans le groupe ADECCO a pu se construire et être signé.

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