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21 février 2010 7 21 /02 /février /2010 20:11

Dans la Grèce antique, on tuait le messager porteur de mauvaises nouvelles quand on ne voulait pas les entendre. Aujourd'hui, la dénégation est plus simple. 

La polémique autour du Giec, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, m'inquiète. Depuis plus de vingt ans, cet organisme, qui regroupe plusieurs milliers de scientifiques, confronte les analyses des uns et des autres concernant le changement climatique et s'efforce de les synthétiser pour en tirer des rapports d'évaluation adoptés par consensus. Ce qui ne signifie pas qu'il n'existe pas en son sein des désaccords, ni que les enjeux politiques sous-jacents ne jouent pas un rôle dans les orientations préconisées : on n'a jamais vu une communauté scientifique unanime et les experts eux-mêmes ne sont pas des êtres désincarnés et protégés de toute influence économique, idéologique ou politique. Après tout, même un expert peut se tromper : ne sous-estimons pas la complexité des phénomènes étudiés, les incertitudes inhérentes à toute prévision – « les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir », disait Pierre Dac –, les divergences dans l'interprétation des données, etc. Bref, les rapports du Giec ne sont ni Dieu (« qui sait tout et voit tout », me disait-on dans mon enfance), ni le pape (infaillible, affirme le dogme) : ce ne sont que des constructions humaines, faillibles parce que s'appuyant sur des probabilités plus que sur des certitudes.


Il n'empêche, il aura suffi que, dans le dernier rapport, il soit écrit que les glaciers de l'Himalaya pourraient avoir disparu en 2035 pour ouvrir les vannes de la contestation. Erreur typographique pour 2350, ayant échappé à la relecture des épreuves, expliquent les responsables du Giec. Exemple flagrant de manipulation, affirment les critiques. Et dans la foulée, tout y passe : le train de vie et la formation de Rajendra Pachauri, qui préside le Giec depuis 2002 et qui est soupçonné de conflit d'intérêts (il dirige un cabinet spécialisé dans la lutte contre le changement climatique), publication des courriels échangés par les scientifiques peu avant la conférence de Copenhague, dans lesquels il est question de « combine » (trick) à propos du réchauffement, publication de deux études (l'une d'un chercheur de l'Université de Kiel en Allemagne, l'autre d'un groupe de chercheurs de l'Université East Anglia) soutenant qu'il n'y aura vraisemblablement pas de réchauffement dans les décennies à venir...

Et Claude Allègre nous ressort sa thèse – les fluctuations de la température du globe n'ont rien à voir avec l'activité humaine, ce sont des phénomènes naturels
[1] –, on appelle à la rescousse Bjorn Lomborg, le statisticien danois qui estime qu'il vaudrait mieux dépenser l'argent à se protéger du réchauffement qu'à l'empêcher. Une thèse que reprend Christian Gérondeau, ancien délégué interministériel à la Sécurité routière [2], défenseur inconditionnel de la voiture, soutenant que, quoiqu'on fasse, les énergies fossiles seront brulées parce que le monde en a besoin, qu'il ne sert donc à rien de tenter de réduire les émissions de gaz à effet de serre et que, de toute façon, ces dernières ne jouent qu'un rôle très secondaire, voire nul, dans le réchauffement : « Quand les États auront compris qu'il est vain de chercher à réduire leurs émissions de gaz carbonique pour "sauver la planète", ils pourront réaliser des économies considérables », écrit-il dans son dernier livre[3].


Comme il me paraît peu vraisemblable que des milliers de spécialistes puissent nous raconter des histoires sans fondement, et que je ne vois pas bien quelles motivations pourraient les y pousser, je m'interroge sur les raisons de l'important écho médiatique que rencontrent les contestataires. Leur registre est soit l'optimisme technologique – la science trouvera bien une solution –, soit la dénégation. Parce que s'exempter d'une responsabilité planétaire, c'est en même temps éviter d'avoir à changer quoi que ce soit dans son mode de vie, un peu comme le gamin qui tente d'éviter la punition en disant « c'est pas ma faute » ou « j'y suis pour rien » ? Peut-être, mais je crois davantage à l'explication qu'avançait Galbraith pour rendre compte de ce qu'il appelait « la culture du contentement » : ce mode de vie apporte à ceux qui en bénéficient des satisfactions qui les poussent à refuser d'admettre qu'il fasse des perdants et des malheureux ou qu'il ne puisse être généralisable à toute la planète.


Dans la Grèce antique, on tuait le messager porteur de mauvaises nouvelles quand on ne voulait pas les entendre. Aujourd'hui, la dénégation est plus simple : « Notre mode de vie n'est pas négociable », disait George W. Bush. Les libéraux refusent d'admettre que le marché peut avoir des responsabilités dans la gravité de la crise actuelle, un peu comme les communistes ont longtemps récusé les statistiques publiques sur la réduction des inégalités parce qu'elles allaient à l'encontre de l'inéluctabilité de la paupérisation (absolue) dans le système capitaliste. Nous ne croyons que ce qui nous arrange et nous sélectionnons les faits qui vont dans ce sens, en ignorant les autres. Serait-ce le retour de « l'imbécile heureux », comme on appelait autrefois le simple d'esprit ?

Denis Clerc, conseiller de la rédaction d'Alternatives Economiques | Article Web - 19 février 2010  (article envoyé par Nicole Bryndas)
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