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23 février 2013 6 23 /02 /février /2013 14:08

  - le 21 Février 2013

Maissat: "La voix est un instrument mais c’est aussi son corps"
 

Après un EP remarqué  à l’automne, Maissiat sort enfin son premier album Tropiques. L’Humanité Dimanche lui a consacré un article dans le numéro de cette semaine. L’humanité.fr vous donne l’occasion de poursuivre sa découverte dans un entretien.


Quel est votre parcours ?

Maissiat. La musique a toujours fait partie de moi. Je ne sais pas pourquoi. J’ai commencé avec des guitares en plastique et toute la panoplie. Dans les photos d’anniversaire ou de Noël, je tombe à chaque fois sur des instruments de musique. Une fausse batterie, une fausse guitare, de faux amplis. Les instruments ont toujours été là bien que je n’ai pas eu d’éducation musicale. Mes parents ne sont pas particulièrement mélomanes. A 11 ans, j’ai pris des cours de  piano. Une heure par semaine à titre de loisir. J’en ai fait trois ans. Après, j’ai continué toute seule chez moi. Puis, je me suis mise à la guitare en autodidacte. Rapidement, j’ai commencé à composer des titres au piano. J’avais 14, 15 ans. Ce n’était pas brillant. Après ces débuts piano chant,  j’ai cherché des musiciens pour maquetter des titres. Je suis rentrée dans un premier groupe amateur, puis un deuxième. En 2005, j’ai rencontré les musiciennes de « Subway » (groupe de rock exclusivement féminin NDLR). Cela a été ma première « expérience pro ». On a passé quatre ans de musique ensemble avec un album, une tournée. Arrivée à certaines limites musicales, j’avais envie d’ouvrir  un peu nos horizons. Je me suis aperçue que ce n’était pas possible. Ne voulant pas me battre, j’ai préféré partir. Comme je ne m’arrête jamais vraiment d’écrire, j’avais de nouvelles chansons que je faisais écouter aux musiciennes du groupe. Ces titres pouvaient exister mais dans un autre cadre. Je m’en suis fait une raison. J’ai quitté le groupe en 2009. Ensuite, je n’ai pas arrêté jusqu’en 2010-2011. J’avais toute une panoplie de chansons à trier et à choisir. J’ai fait appel à Katell pour réaliser l’album. On a choisi les titres ensemble. Elle a fait son gros travail de réalisation. Elle a travaillé l’épure. Elle a enlevé pas mal de choses dans les arrangements. En me retrouvant en solo, je m’étais senti tellement libre dans ma manière de travailler que sans personne pour me dire stop, j’avais mis des instruments partout. Elle m’a dit d’aller au bout de mon idée. « Tu as tout fait au piano. Donc, ne mettons que des claviers. Cela donnera une patte sonore particulière au disque ». On a travaillé comme cela sur l’album.


Pourquoi avez-vous utilisé des instruments virtuels ?

Maissiat. J’ai travaillé avec un clavier branché à mon ordinateur. Je pioche dans une bande de sons : des faux violoncelles, des fausses cordes, de faux cuivres, des batteries, des chœurs. Je m’en suis beaucoup servie pour travailler les titres. Je l’ai pris comme une matière sonore sans forcément avoir peur du faux. Ce n’est pas parce que ce sont des instruments virtuels que c’est fake(sic). Le virtuel a aussi son charme. Il donne une identité sonore.


Il y a aussi un gros travail sur les harmonies vocales…

Maissiat. On a commencé par enregistrer les voix avant la musique. Normalement, on enregistre tout le décorum et on vient poser sa voix dessus. Là Katell voulait que ma voix nous guide. J’ai fait un gros travail pour retrouver ma voix. Je sortais de grosses guitares électriques. Ce n’est pas la même chose de chanter qu’avec un piano. Il y a eu un gros travail de recentrage. La voix est un instrument mais c’est aussi son corps. Il y a quelque chose de très intime. C’est délicat de travailler la voix.


Votre inspiration semble autant venir de la chanson que de la musique classique ?

Maissiat. J’écoute plein de choses depuis dix ans. J’emmagasine. Il y a par exemple chez Chopin une douceur. Chaque note donne l’impression de se poser dans un écrin. On retrouve cette pluie de notes sur « jour de chance » avec des introductions de piano très douces qui nous mettent en bouche. Après ça s’envole avec une batterie et d’autres choses. J’aime ce genre de notes douces, cotonneuses qui viennent nous envelopper.


Pourquoi les thèmes de chansons tournent-ils beaucoup autour des amours déçues ?

Maissiat. Parce que ce n’est pas facile tous les jours. On est parfois déçue. Mais disons que cela remue. L’amour est une sacrée matière pour écrire des chansons, un puits sans fonds. Mais j’irai plus chercher du côté de la passion que de la déception.


Mais il y a quand même un certain spleen…

Maissiat. On me parle souvent de mélancolie. En regardant mes photos, je me dis souvent que j’ai l’air complètement antipathique et triste alors que je ne suis pas comme ça. Il s’en dégage une vapeur mélancolique.


Vos textes à la manière de ceux écrits par Jean Fauque pour Alain Bashung sont parfois insondables et difficilement compréhensibles. Qu’est ce qui nourrit cette écriture?

Maissiat. Quand on prend le temps de faire un disque, on a le temps de se nourrir. J’ai eu le temps de me nourrir, de lire. D’ordinaire, je lis très peu. J’ai beaucoup de mal à me concentrer. Là, j’ai eu le temps de partir ailleurs dans le sud de la France au bord de la Méditerranée. J’ai passé deux étés à beaucoup écrire. C’est drôle que vous parliez de Bashung parce qu’à ce moment là, un feuilleton radiophonique passait sur France Inter. Chaque semaine, j’attendais le nouvel épisode pour avoir ma dose de biographie de Bashung à la radio. Cela m’a bercé. Marguerite Duras a aussi compté. Dans Havana, il y a une petite référence aux  plages de Rocca, un petit village d’Italie. Elle en parle dans « les petits chevaux de Tarquinia ». La chanson ne parle pas du roman mais le point d’ancrage est lié à son écriture. Après, il n’y a pas eu que Duras et Bashung mais ce sont deux souvenirs très nets. Il y a aussi quelque chose de très fort au niveau des éléments, de l’attente dans la chaleur. C’est aussi pour cette raison que j’ai lu « Les petits chevaux de Tarquinia » et « le marin de Gibraltar » qui se passent en plein été. Quelque chose collait, était complètement raccord. J’avais l’impression d’être dans ce décor et de me replonger dans un autre décor comme une espèce de mise en abyme bizarre. Je vivais cette attente  proche de l’ennui mais qui ne l’est pas. Je me laissais aller à cette chaleur langoureuse, presque insupportable. Et à l’ivresse. « Jaguar » découlait d’une après midi très chaude et d’une soirée où j’étais au piano, de vapeurs d’alcool. Il est 2h du matin, tout le monde est couché. Les grillons sont derrière, la pinède est autour. Il y a des bruits bizarres. Tout est très mystérieux et tout un coup, on se laisse plonger dans ce grand bain.


Aves quels alcools l’album a-t-il été composé ?

Maissiat. Pour Havana, je ne peux pas trop mentir. Mais il y aussi une autre période parisienne plutôt cognac. Mais je parle des fins de nuit.


Pourquoi les fauves sont ils si présents dans les titres des chansons et dans les textes ?

Maissiat. Je suis assez admirative de ces bêtes. Elles m’impressionnent. Je les trouve d’une beauté et d’une imagerie impalpables. Elles me transportent et me fascinent. Dans un train, je lisais un article sur la réforme de la psychiatrie dans les Inrocks. Des patients étaient interviewés. L’un d’eux, assez sceptique sur cette réforme  disait : « dans ce système, on fabrique des fauves ». L’article parlait de psychiatrie mais de manière générale, je trouve qu’on fabrique des fauves. Cette phrase résumait très bien ce que je pense parfois de la société dans laquelle on vit, du gouvernement par lequel on est passé avant celui-ci. Je voulais écrire simplement là-dessus.


On ne perçoit pas forcément à l’écoute de l’album les inspirations plus sociales et sociétales…

Maissiat. C’est aussi un jeu d’écriture. J’aurais pu faire les choses différemment en mettant la date et l’heure et l’objet du message. La mélodie condamnait cette porte là. Elle me disait :  «  ne dis pas ça comme ça ». Il y avait quelque chose d’évident dans la mélodie. Je préférais rester dans l’image.


Que vous apporte le solo après l’expérience collective de Subway ?

Maissiat. J’ai goûté à une liberté.  Ce n’est pas le groupe qui a fini par me déplaire. C’est l’imagerie qu’on peut en avoir. Je ne fais pas de la musique avec des gens pour être mariée avec eux. J’ai besoin de me sentir libre. Depuis trois ans, j’ai rencontré des musiciens et des musiciennes libres dans ce qu’ils font. J’ai pu jouer, travailler avec eux. Je me suis aperçue que je n’étais pas folle.  On peut faire des choses à soi, très intimes et travailler avec d’autres pendant un certain temps, puis s’arrêter et recommencer plus tard.  Il n’y a plus de carcans, de fausses images. Quand on était dans Subway, on rentrait dans les ordres. Il y avait pour moi quelque chose de complètement dépassée. Ce n’est pas ça la musique.


Qu’entendez-vous par l’imagerie d’un groupe de filles ?

Maissiat. C’’est la dilettante. Je suis arrivée à l’époque dans un groupe qui existait déjà depuis dix ans. Je débarquais comme un chien dans un jeu de quilles. J’arrivais complètement neuve et novice. J’étais jeune,  libre et pleine de fougue. C’est dur de faire bouger les choses et de changer les gens quand on arrive dans un groupe qui a déjà un mode de fonctionnement, des habitudes, bonnes et/ou mauvaises.  Mais ce qui m’importe, c’est la musique. Il faut arriver à évoluer. Je suis partie pour ça. J’ai senti que cela n’allait pas évoluer. Il n’y avait pas de chance donnée à la musique pour lui ouvrir des portes. En 2009, j’avais 27 ans. Je ne pouvais pas m’arrêter là. C’était invraisemblable. Je suis partie.


Que vous inspirent les comparaisons avec Françoise Hardy ?

Maissiat. C’est un peu mon quotidien. Si on ne s’arrête qu’à la voix, cela me va très bien. Mais pas ses idées. J’ai écouté l’album Gin Tonic, enregistré en 1980 pendant ces trois dernières années. Les enchainements d’accords, les variations de mélodies sont très riches, complètement barrées. C’est beaucoup plus original que les trois quarts des choses qu’on entend aujourd’hui en chansons et en variété française. Je n’ai absolument rien contre elle. J’aime beaucoup sa voix emprunte de mélancolie. Elle a un fil qui me transporte.


En revanche, physiquement, vous ressemblez un peu à Romane Bohringer…

Maissiat. Ce n’est pas la première fois qu’on me le dit. Quand j’étais petite c’était Romane Bohringer et Charlotte Gainsbourg. J’aime beaucoup ces femmes. Elles ont quelque chose qui me touche beaucoup.

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