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11 juin 2010 5 11 /06 /juin /2010 16:08

Haïti : l’insupportable souffrance – Randall Robinson –

 

Un ouvrage récent (il part de la situation d’Haïti au moment du séisme de janvier 2010) attire notre attention sur le fait colonial ayant invariablement frappé la partie Ouest d’Hispaniola depuis son indépendance en novembre 1803.

Au moment où nous avons à l’esprit la commémoration de l’abolition de l’esclavage, cet ouvrage mérite la lecture.

Une moitié du livre est consacré à l’historique colonial, l’autre au coup d’Etat contre Aristide de 2004 que l’auteur a vécu en direct, étant lié personnellement à « Tide ».

 

Robinson, afro-étasunien solidaire de la lutte des petits pays contre l’impérialisme de son pays, campe rapidement le décor : dès son indépendance, chèrement obtenue sur le plan humain, le petit pays caraïbe est contraint, entre le XIXème et le XXème siècles, de verser l’équivalent (2009) de 21 Milliards de dollars US aux banques US et françaises !), ce qui constitue une violation des Droits de l’Homme (pour perte de la force de travail gratuite !). En 1915, 110 ans après, 80% des ressources de l’Etat haïtien sont consacrées à ce « dédommagement » !

 

Les demandes de remboursement de ces sommes extorquées à Haïti se heurtent jusqu’à présent au refus arrogant de la France et des USA et à des mesures de rétorsion politiques. Ce n’est qu’en 1947 que le dernier « prêt » des USA est soldé : Haïti est ruiné, ce qui n’empêche pas les USA de pratiquer contre elle un embargo dans les années 1990 : élargissement du blocus illégal de Cuba ? Cet ouvrage ne l’explique pas.

 

Sa forêt anéantie par l’exploitation coloniale, il est depuis longtemps une contrée de plantations. Sa perte conduit la France à vendre la Louisiane aux USA de l’époque, gouvernés par Thomas Jefferson, lui-même propriétaire d’esclaves et qui propose son aide à la France tout en défendant les belles valeurs des Ddh à Washington.

 

Rôle des USA : en 1803, Jefferson refuse de reconnaître la jeune république, craignant entre autres la contagion sur le sol étasunien (émancipation de ses esclaves). Avec l’Europe, il se met à pratiquer contre la petite république l’embargo, la quarantaine diplomatique, la diffamation par le biais de la presse, l’aide militaire aux contras. En 1922, Haïti doit supporter sept ans d’occupation US qui se soldent par 15000 morts. A noter l’action discrète de l’IRI (institut républicain International, organisation US) et celle du National Endowment for Democracy contre le régime d’Aristide.

 

La France, donc, n’est pas de reste : frustrée d’avoir été éconduite par les anciens esclaves et non contente d’avoir fait payer en monnaie sonnante et trébuchante les « dommages de fin d’esclavage !!! » à Haïti indépendante, elle refuse en 1904 l’invitation au centenaire de son l’indépendance.

 

Le Vatican, de son côté, intrigue contre le prêtre qui défend la dignité de son pays et le fait expulser de l’ordre salésien au lieu de le soutenir, ce qui contribue à l’action des puissances coloniales.

 

Actions conjointes : entre 2000 et 2004, la Banque Mondiale déstabilise Haïti par l’arrêt des financements). Denis Paradis, secrétaire d’Etat canadien, organise une réunion à Ottawa pour renverser Aristide tandis que Villepin envoie sa sœur, Véronique Albanel, pour menacer Aristide et que Luigi Einaudi, représentant de l’OEA (Organisation des Etats Américains [organisation panaméricaine], soumise au diktat des USA) harcèle Aristide. Menée par les USA, la France et le Canada, une petite expédition enlève le président Aristide en 2004**. Sur place, un homme de main, Guy Philippe, formé par la CIA en Equateur, fait diversion en semant la terreur. Aristide est emmené sous la contrainte puis déporté en Afrique via une république bananière des Caraïbes. Notre chère MAM déclare le 13 mars 2004 que le président Aristide est « gardé à Bangui » par des soldats français. A noter que l’entourage du président, voyant ce qui se préparait dans les jours précédents, avait envisagé d’alerter la force militaire des caraïbes, mais celle-ci était entraînée par les GI’s… Des soldats US, canadiens et français sont présents la veille de l’enlèvement pour « protéger leurs ressortissants » !! Les paramilitaires à la solde des Etats-Unis et consorts sont bien sûr entraînés dans l’Est de l’île, en République dominicaine. Sur les chaînes de télévision étasuniennes, des images d’archives montrent le « départ volontaire », de jour, d’Aristide, alors que celui-ci est enlevé vers 4 H du matin. Les « démocraties occidentales » sont expertes à convaincre par de fausses preuves... Omar Bongo sert d’intermédiaire entre la France et les USA d’une part, la République Centrafricaine d’autre part, où le président Borizé est parvenu par un coup d’Etat. L’auteur du livre, Randall Robinson, notamment accompagné de la journaliste indépendante Amy Goodman (Democracy Now), connue notamment pour ses dénonciations des actions étasuniennes illégales à l’étranger, parvient à se rendre sur place, en RCA. Dominique de Villepin appelle à la formation d’un gouvernement de transition le 26 02 2004.

 

Voila comment a été traitée la petite république d’Haïti émancipée par sa propre révolte il y a deux siècles. L’ampleur du désastre dû au séisme était une fatalité des éléments qui s’acharnent, ont dit certains médias ?

 

Il est important que ces faits percent le mur du silence. Plus que jamais, le combat antiraciste et pour l’amitié entre les peuples passe par l’anticolonialisme.

 

Philippe LE CLERRE

 

Haïti : l’insupportable souffrance – Randall Robinson – Editions Alphée-Jean-Paul Bertrand – préface de Claude Ribbe

 

* l’autre partie étant la République dominicaine

** Les Etats-Unis auraient déjà enlevé précédemment le président Aristide, qui aurait été « travaillé » avec les méthodes des services secrets pour changer d’attitude

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