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19 juin 2011 7 19 /06 /juin /2011 22:37

SANTE ET PROTECTION SOCIALE

Soins psychiatriques (deuxième lecture)

Par Guy Fischer / 16 juin 2011

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la colère gronde ! Parmi les professionnels, les associations, les patients et leurs familles, ainsi que les magistrats, la colère gronde contre ce texte, comme en atteste la conférence de presse organisée hier au Sénat par les groupes de gauche.

L’examen par notre assemblée, en seconde lecture, du projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge est, pour le groupe CRC-SPG, l’occasion de dénoncer une nouvelle fois l’idée que vous vous faites, madame la secrétaire d’État, mesdames, messieurs de la majorité, des maladies mentales, de ceux qui en sont atteints et de ce que devrait être, selon vous, la psychiatrie.

Nous avions voté contre ce texte en première lecture ; les quelques amendements adoptés lors de l’examen en deuxième lecture par l’Assemblée nationale n’ont pas permis d’en changer le fond, qui repose, ce que je regrette, sur un certain nombre de mystifications et constitue un leurre. C’est un texte d’affichage.

Tout d’abord, contrairement à ce que le Gouvernement tente de nous faire croire, ce projet de loi ne garantit ni la protection des personnes ni celle des libertés publiques. Certes, il intervient après la décision du Conseil constitutionnel, qui oblige l’État à prévoir, sous peine de sanctions, l’intervention du juge des libertés et de la détention. Or celui-ci n’interviendra qu’a posteriori, c’est-à-dire après qu’une personne aura été « gardée à vue psychiatriquement » soixante-douze heures durant, et ne pourra qu’invalider ou conforter une décision prise par une autorité qui ne dispose pas, en droit, des capacités juridiques à décider de l’application d’une mesure privative de liberté.

Mme Annie David. Exactement !

M. Guy Fischer. De la même manière, vous avez conservé le caractère suspensif de l’appel initié par le procureur de la République à l’encontre de la décision de mainlevée de la mesure privative de liberté prononcée par le juge. Cela pourrait avoir pour conséquence de priver une personne de sa liberté pendant encore quatorze jours. On est loin, me semble-t-il, de la volonté exprimée par le juge constitutionnel.

Autre mystification, vous présentez ce projet de loi comme indispensable. Or tel n’est pas le cas. Il vous aurait suffi, madame la secrétaire d’État, pour satisfaire aux contraintes issues de la décision du Conseil constitutionnel, de limiter la portée de ce texte à la seule intervention du juge des libertés et de la détention, en renvoyant les autres mesures prévues à un autre projet de loi. Telle aurait été la sagesse !

Tout cela nous conduit à une troisième mystification, que je dénonce avec l’ensemble de mon groupe, Annie David et Nicole Borvo Cohen-Seat en tête : la dimension sanitaire est quasiment absente de ce projet de loi, et pour cause ! Vous ne vous êtes intéressée qu’à un aspect des maladies mentales, à savoir les troubles à l’ordre public qu’ils peuvent engendrer. Cela n’aura d’ailleurs échappé à personne, c’est après la survenue d’un fait divers à Saint-Égrève, dans l’Isère, le département d’Annie David, que le Président de la République a pris la décision de modifier dans un sens radicalement sécuritaire la loi du 27 juin 1990. Cette volonté se traduit par la limitation des sorties d’essai, qui ont pourtant une véritable vocation thérapeutique : comme nous l’ont bien expliqué les psychiatres, ces sorties permettent de créer des liens entre eux-mêmes et le malade. Vous créez également un nouveau mode d’hospitalisation sous contrainte ne relevant ni de la demande d’un tiers ni de l’hospitalisation d’office.

De la même manière, vous privilégiez systématiquement le sécuritaire au détriment du médical. J’en veux pour preuve la conception que vous vous faites du soin et des maladies mentales. Pour vous, ces dernières pourraient être soignées contre la volonté même des malades. Vous réduisez la psychiatrie au traitement de la crise, plus, d’ailleurs, par souci de l’ordre public que dans l’intérêt des patients. Les équipes médicales deviennent de fait des auxiliaires de police, ce qui fait peser sur elles une responsabilité particulière : elles doivent en effet apporter la garantie que jamais une personne malade ne commettra de crimes. On criminalise ainsi la psychiatrie.

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Guy Fischer. Or le risque zéro n’existe pas, d’autant que vous confortez la disparition de la politique de psychiatrie de secteur, laquelle demeure pour nous la seule réponse pertinente qui ait fait ses preuves. Elle repose sur un postulat opposé à celui de votre projet de loi : les soins, pour être efficaces, doivent être consentis. La maladie mentale a cela de particulier qu’elle repose sur le déni du malade. Pour accompagner ce dernier sur le chemin de la guérison, il faut l’amener à prendre conscience de sa maladie et le conduire à accepter le traitement adéquat. Les soins sous contraintes nient cette spécificité ; vous faites comme si les maladies mentales étaient des maladies somatiques !

Tout cela nous conduit à penser que, si votre projet de loi devait être adopté, la priorité serait donnée aux seules périodes de crises, au travers de traitements imposés de courte durée et reposant de manière excessive sur le recours aux médicaments. Or ces derniers ne soignent pas. Ils apaisent temporairement le patient, rendent possible la cohabitation entre celui-ci et sa maladie, laquelle demeure. On en revient au traitement des seuls symptômes, quand notre société devrait se fixer pour objectif la guérison, non pas pour satisfaire à l’image que nous nous faisons d’un ordre social normé – la folie fait partie de la vie –, mais pour permettre à chacun – cela relève de notre responsabilité – de trouver sa place dans la société, conformément à la théorie des psychiatres désaliénistes.

Enfin, la dernière mystification repose sur la notion même de soins ambulatoires sans consentement. Avec cette extension jusqu’alors jamais vue du champ de la contrainte, vous préparez ce que Mathieu Bellahsen, psychiatre de secteur et membre du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire nomme à raison « un grand renfermement... à domicile ». Alors que des psychiatres comme Lucien Bonnafé avaient pris le parti de libérer les fous, vous faites quand à vous le choix de les enfermer à résidence. Cette modalité de soins risque, demain, de se généraliser, tant la politique comptable que vous appliquez aux établissements publics de santé et, singulièrement, à la psychiatrie entraîne fermetures de lits et réductions de personnels.

M. Jean Desessard. Eh oui !

M. Guy Fischer. Comme le souligne à raison la Ligue des droits de l’Homme, « compte tenu de l’absence de moyens alloués aux secteurs extra-hospitaliers, ces soins se limiteront la plupart du temps à injecter un neuroleptique retard, en attendant la géolocalisation, au plus grand bénéfice de l’industrie pharmaceutique et de l’ordre public réunis. Cette disposition d’une extrême gravité augure l’avènement d’une société de contrôle inédite où chacun sera tenu, au moindre écart de conduite, d’être enfermé et “traité”chez soi ! »

Au contraire, c’est de davantage de moyens que la psychiatrie publique a besoin, de davantage de confiance et d’indépendance, au service des populations en souffrance.

Pour tous ces motifs, et parce que nous ne pouvons que nous opposer à ce qui s’apparente à une déraison de l’État, nous voterons contre ce projet de loi. Nous disons « non » à un texte d’affichage et d’opportunité, qui criminalise les malades et dénature la psychiatrie, « non » à un texte liberticide, qui doit être retiré au profit d’une grande loi de santé mentale !


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