Xénophobie d’Etat : suites françaises
Par
OLIVIER LE COUR GRANDMAISON Universitaire
Mardi 10 janvier 2012. Avec la froide détermination qui sied à ses
fonctions et la fierté du devoir accompli, le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, annonce les résultats de la politique migratoire qu’il a appliquée sous la responsabilité de son mentor,
Nicolas Sarkozy. Pour la seule année 2011 : 32 912 expulsions, soit 3,5 fois plus qu’en 2001. Un record absolu que ses prédécesseurs, Brice Hortefeux et Eric Besson, n’ont pu atteindre. A l’aune
de ces «progrès», comme le qualifie celui qui sévit actuellement Place Beauvau, ces derniers passeraient presque pour des amateurs velléitaires. Tel n’est pas le cas de ce nouveau Charles Martel
en costume gris, dont la mission est de bouter les étrangers hors de France pour aider à la réélection de celui qui l’a fait ministre. Mais cela ne suffit pas. Claude Guéant entend poursuivre
cette offensive puisqu’il a fixé à ses services et aux préfets des buts encore plus ambitieux : 35 000 éloignements forcés dans les douze prochains mois ainsi que la réduction annoncée du nombre
de titres de séjour délivrés et celle des naturalisations accordées.
Formidables ambitions. Elles
témoignent de la radicalisation des orientations mises en œuvre par le gouvernement depuis l’élection présidentielle de 2007 et l’instauration d’un vrai plan quinquennal d’expulsions dont Claude
Guéant est désormais le Stakhanov incontesté. Ce plan, comme les chiffres qui viennent d’être rendus publics, est sans précédent dans l’histoire de la Ve République et il a peu d’équivalent sur
le Vieux Continent où la France s’affirme comme l’une des championnes européennes en ce domaine. Une telle politique publique s’inscrit dans le cadre voulu par Nicolas Sarkozy qui, pour conquérir
le pouvoir hier, avait décidé de plumer la «volaille» frontiste. Ainsi fut fait avec succès. Indispensable il y a cinq ans, cette opération l’est plus encore dans un contexte où la concurrence
entre l’UMP et le Front national est plus vive que jamais.
Sachant que, pour parvenir aux
résultats précités, les forces de l’ordre doivent procéder à un nombre d’arrestations au moins trois fois plus élevé, cela signifie que près de 100 000 étrangers ont été interpellés l’an passé,
soit 270 par jour. Un tel acharnement ravale les quelques charters organisés par Charles Pasqua lorsqu’il était aux affaires au rang de gesticulations sans lendemain. Aux bricolages populistes et
déjà racoleurs de cet ex-ministre, a succédé un dispositif politique, juridique, administratif et policier impitoyable, conçu pour traquer, rafler et expulser ceux qui sont désignés comme de
nouveaux ennemis intérieurs jugés responsables de nombreux maux sécuritaires et sociaux qu’il faut conjurer au plus vite pour sauver la France des périls supposés menacer sa cohésion, sa
tranquillité et son identité.
Xénophobie d’Etat au sommet des
institutions que dirigent des élites politiques converties à un lepénisme réformé comme le prouvent les fidèles du Président qui entendent flatter une petite fraction de l’électorat. De là,
aussi, des pratiques policières discriminatoires et racistes. Elles sont les conséquences logiques de cette politique du chiffre. L’enquête sociologique et de terrain, menée à Paris par deux
chercheurs du CNRS (1), d’octobre 2007 à mai 2008, le prouve. Elle a permis d’établir que la probabilité d’être soumis à un contrôle d’identité est 7,8 fois plus élevée pour les «Arabes» et 6
fois plus importante pour les «Noirs» que pour les «Blancs.»
Ces orientations, le prurit législatif
et réglementaire qu’elles engendrent révèlent l’existence de deux ordres politico-juridiques appliqués sur le territoire français à des populations différentes : l’un, soumis aux principes
démocratiques de l’Etat de droit, est opposable aux nationaux, principalement. L’autre relève de l’exception légalisée et permanente, de l’arbitraire aussi imposé à des centaines de milliers
d’étrangers, d’hommes, de femmes et d’enfants considérés comme des indésirables dangereux qu’il faut chasser au plus vite. En ces matières, le gouvernement est fort des faiblesses et des
divisions irresponsables des gauches parlementaires et radicales. Par leurs atermoiements réitérés et la pusillanimité de leurs réactions, elles laissent ainsi le champ libre à l’UMP et au Front
national. Jusqu’à quand ? «Ce n’est plus un rideau de fer, mais une intolérance radicale, celle d’une certaine classe politique qui de nouveau choisit d’attribuer aux minorités la
responsabilité des malheurs qui accablent leur pays.» Qui est l’auteur de ce constat sinistre établi en 2010 et plus que jamais d’actualité ? Denis MacShane, ex-ministre britannique des
Affaires européennes.
(1) Fabien Jobard et René Lévy.
Olivier Le Cour Grandmaison a dirigé «Douce France : rafles, rétentions, expulsions» (Seuil, 2009).
www.liberation.fr/politiques/01012383537-xenophobie-d-etat-suites-francaises>
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