Mesdames, Messieurs, Jeunes Elèves,
Je remercie votre municipalité – laissez-moi dire la nôtre – de m’avoir donné, dans cette fête des écoles Laïques, l’occasion
de dire une fois de plus que l‘éducation rationnelle et scientifique du peuple est un besoin essentiel, une nécessité vitale de la République. Vous l’avez compris, car ici, par l’accord de vos
maîtres et maîtresses, dont le dévouement a été admirable, et d’une municipalité où toutes les forces de la démocratie sont représentées, le nombre des élèves de vos écoles, en quelques années, a
triplé.
Cette éducation doit être l’objet d’une sollicitude constante et la communication doit être incessante entre la vie de la
nation et la vie de l‘école. L’Enseignement national dans une démocratie n’est pas une forme immobile et figée : ce n’est pas un mécanisme monté une fois pour toutes et qu’on abandonne ensuite à
son fonctionnement : l‘éducation est liée à toute l‘éducation politique et sociale, et il faut qu’elle se renouvelle et s‘élargisse à mesure que s‘élargissent et se renouvellent les
problèmes.
Déjà, il y a trente-quatre ans, au lendemain des désastres effroyables que le despotisme avait déchaînés sur la patrie, un
grand cri s‘éleva de tout le parti républicain : il faut refaire la France. Il faut l‘éclairer. Il faut l‘éduquer !
La tyrannie est fille et mère d’ignorance, ou plutôt elle est l’ignorance même, car en subordonnant toutes les volontés à une
seule, en résumant toute la force active de la patrie dans une dynastie ou dans une caste, elle rend inutile, au moins dans la conduite de la chose publique, l’intelligence de tous. Et c’est une
loi de la vie qu’un organe inutile languisse et s’atrophie.
Il se peut que, dans des sociétés compliquées, où les intérêts privés sont si variés et si ardents, l’intelligence subsiste,
appliquée au maniement de ces intérêts. Et un observateur superficiel ne constaterait point tout d’abord dans une nation serve une diminution de pensée. Mais l’intelligence de tous, exclue du
gouvernement de la Cité et de l’administration de la vie nationale, a perdu tout ensemble son plus haut objet et son plus vigoureux ressort. Et dès que survient une crise, elle ne suffit plus à
la force des événements. La liberté républicaine, qui donne à tout citoyen le droit et qui lui crée le devoir d’intervenir dans la conduite des affaires publiques, qui l’oblige sans cesse à avoir
une opinion et une volonté, est donc un incessant appel à tous les hommes, à la force de la pensée et à la force du vouloir. Elle est donc la grande et universelle éducatrice.
Mais cette éducation par la liberté serait insuffisante, elle investirait les citoyens de droits et de devoirs supérieurs à
leurs facultés si la nation ne mettait pas tous les citoyens en état de se reconnaître dans la complication des événements et de dégager de la contrariété des égoïsmes le droit de chacun et
l’intérêt de tous.
C’est pourquoi l‘éducation de tous par la liberté républicaine doit être soutenue de l‘éducation de tous par l’Ecole et par
l’Ecole de la Nation et de la Raison, par l’Ecole civile et Laïque.
Oui, c’est là ce qu‘à peine sortis du gouffre criaient, il y a trente-quatre ans, les républicains et les patriotes : refaire
la France par l‘éducation de tous, éduquer tous les citoyens par la République et par l’Ecole ; la souveraineté agissante pour tous, la lumière pour tous, la responsabilité pour tous. C’est là,
pour appliquer à ces jours tourmentés et tragiques la grande image du Dante, le premier appel jeté par les naufragés dès que roulés par les vagues ils abordaient au rivage tout haletants encore
et presque suffoqués.